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Johannes (Jean) Hermann

L’origine des collections date de la seconde moitié du XVIIIe siècle par la création d’un Cabinet d’Histoire Naturelle dont Johannes Hermann, professeur à l’Université de Strasbourg, avait été l’initiateur.

Visage du passé bien connu de ses pairs alsaciens et du monde universitaire européen du XVIIIe siècle, le souvenir de Jean Hermann est conservé par les collections qu’il nous a légué.
L’homme, savant passionné du siècle des Lumières, est en effet aujourd’hui décrit comme le fondateur des collections scientifiques strasbourgeoises. En hommage, le Musée Zoologique lui a attribué un espace reconstituant son célèbre Cabinet d’Histoire Naturelle.

Ses échantillons de minéraux ont été retrouvés parmi les 30000 échantillons de la collection grâce aux petites étiquettes manuscrites qui les accompagnent.
Strasbourg, seconde ville des sciences en 1798

Jean (ou Johannes) Hermann, fils d’un père pasteur, naquit le 31 décembre 1738 à Barr, ville du vignoble située sur l’ancien territoire de la Ville Libre de Strasbourg.
Etudiant à l’Université Luthérienne de Strasbourg, il obtint en 1763 le diplôme de docteur en médecine et fut nommé professeur extraordinaire de médecine en 1768 avant d’obtenir la chaire de philosophie en 1778.

Johannes (Jean) Hermann

Il devint membre de plusieurs sociétés d’amis des sciences qui fleurissaient en Allemagne, en France, en Italie, en Suède, en Russie et en Angleterre, ainsi que le correspondant de nombreux scientifiques et explorateurs de l’époque dont Banks, Ferber, Gärtner, Lacépède, Buffon, Müller, Cuvier, Thunberg, von Humboldt, Pallas, Bloch, Haüy, Vogel. La visite que lui fit Johann Ferber est relatée dans son ouvrage Bergmännische Nachrichten publié en 1776 : « …chez mon ami, le professeur Hermann à Strasbourg » où il a observé pour la première fois une plante rare, la Buxbaumia.

Relation de la visite de Johann Ferber auprès de Jean Hermann en 1776

Il contribua ainsi au rayonnement de l’Université de Strasbourg. Geoffroy St Hilaire n’avait-il pas écrit en 1798 que Strasbourg était « La seconde ville des Sciences », après Paris !

La pédagogie par les collections

Pour répondre à sa passion pour les sciences de la nature, il constitua à son domicile place St Thomas, sans doute à partir d’une petite collection héritée de son prédécesseur, un cabinet d’histoire naturelle qu’il ouvrit en 1764 à l’âge de 26 ans. Ainsi qu’il l’affirme lui-même plus tard : « Ce sont les étrangers qui autrefois ont fait leurs études chez nous qui m’ont mis à même de former un cabinet… » Son appartement devint ainsi un « Cabinet d’enseignement » où il aimait se retrouver avec ses étudiants.

L’outil pédagogique utilisé dans le cadre de ses enseignements que représentait sa collection revêtait un caractère d’exception. A l’exception du Cabinet d’histoire naturelle de Paris, futur Muséum National d’histoire Naturelle, ouvert à l’observation scientifique, et des collections privées plus fréquentes en ce beau XVIIIe siècle, son cabinet était une référence incontournable pour les scientifiques de passage à Strasbourg. Lui-même avait visité quelques collections parisiennes, dont celle de Duhamel du Monceau de l’Académie des Sciences et celle de d’Angerville, rue du Temple, un «  homme âgé, roux, il a l’ouïe grave, fort affable, et montre volontiers ses curiosités… » Il connaissait aussi sans doute la collection que fondait dans le même esprit à Waldersbach le pasteur Jean-Frédéric Oberlin, ainsi que celles constituées à Reichshoffen par le baron de Dietrich (qui sera versée dans les collections de l’Ecole des Mines à Paris après sa décapitation en 1793 à Strasbourg), et à Mulhouse par Jean Hofer, amateur et esprit éclairé, laquelle a été malheureusement détruite lors des bombardements alliés de 1944.

Il ouvrit aussi sa collection à des cours privés auxquels assistèrent les esprits cultivés de la bourgeoisie alsacienne. La notoriété de Hermann et la valeur scientifique de ses collections attirèrent de nombreux visiteurs, lesquels, souvent à sa grande frayeur, trop nombreux et trop curieux, abîmaient parfois les objets accessibles aux mains indélicates. Selon lui, plusieurs milliers de personnes visitèrent son cabinet en trente ans.

Une étonnante collection de minéraux

La diversité des espèces minérales et l’origine géographique lointaine des minéraux de sa collection portent le témoignage d’une étonnante et très active circulation d’objets à travers l’ancienne Europe. Les gisements classiques de Saxe, de Thuringe, du Tyrol, de Perm dans l’Oural, de Forêt-Noire, des Vosges, de Derbyshire, du Dauphiné sont bien représentés. D’autres sites sont encore nommés : Suède, Espagne, Hongrie, Haute-Saône, Tchéquie, Palatinat, Champagne, Eifel, Basses-Pyrénées, Carinthie, Islande, Ile d’Elbe, Corse.
Jean Hermann exploite avec profit cette situation pour agrandir ses collections et pour tisser des liens solides avec la communauté scientifique naissante. A sa mort en 1800, sa collection comptait sans doute plus de 300 échantillons.

Agathe, Schlottwitz, Osterzgebirge, Saxe, Allemagne

Le rigorisme scientifique de Hermann

Rédigées de sa main, il reste par chance de nombreuses notes qui accompagnent ses minéraux. Couvertes d’une élégante écriture souvent en deux langues, elles précisent l’origine de chacun des échantillons. Les références bibliographiques concernant chaque minéral, mais aussi et surtout les propres analyses de Hermann complètent la description. Voici ce qu’il écrivit à propos de l’aragonite, un carbonate de calcium provenant de la province espagnole d’Aragon qui lui a donné son nom :

« Pierre particulière et nouvelle, crystallisée en prismes hexagones tronqués & striés […]. Elle casse en fibres longitudinales et fait effervescence mais elle est plus pesante que le spath calcaire. Sur le charbon elle ait l’effet du Spath fusible. On croit que c’est un mélange de ces deux substances. Serait-ce une espèce d’Apatithe de Werner ? Ne serait-ce pas la chaux phosphorée d’Extramadure ? Bermann, 1787.
Ce n’est qu’un spath calcaire, qui coupé longitudinalement montre quatre plans triangulaires formés par deux diagonales
[…]. »

Aragonite, province d’Aragon, Espagne

En ce qui concerne les différents règnes de la nature que conservait son Cabinet, Hermann fait preuve de rigueur intellectuelle et scientifique et ne tolère pas quon s’en écarte. Ainsi fustige-t-il plusieurs de ses contemporains (le professeur Leman du Dépt. de Monterrible [Landau, en Palatinat alors annexé par la France], qui dans toute l’histoire naturelle ne connoit que la différence du vin de Bourgogne de celui de Champagne). Le ministre de l’Intérieur, François de Neuchâteau, n’échappe pas lui non plus à ses remarques. Ce dernier avait communiqué une circulaire provoquant son indignation ([…] une liste de minéraux plus mauvaise, plus incomplète, plus révoltante que celle-ci ?) Son refus du désordre cache un trait fondamental de son caractère méticuleux, perfectionniste et irritable que montrent ses écrits.

Stilbite, Andreasberg, Harz, Allemagne

L’empirisme des connaissances

Dans cette quête vers la connaissance, on constate combien il se sent souvent désarmé devant le mystère et l’apparente résistance à la compréhension qu’offrent les minéraux (le tout encore à analyser), ce qui le conduit à s’en remettre modestement aux observations des savants plus érudits dont il reste dépendant et quelquefois perplexe : « Quoique Mr Charpentier [à la Cour de Saxe] lui-même me le donne pour Wolfram, cependant d’habiles minéralogistes, Mr Norderflyckt, et d’autres n’y trouvent que de la mine de fer micacée.  »

Bien que les indications de Hermann véhicule une nomenclature aujourd’hui déclassée, elle reste néanmoins fidèle aux particularités physiques réels des minéraux, ainsi Spath pesant désigne bien la baryte, un sulfate de baryum, minéral de densité élevé (4,48). De même, le minéral qu’il identifie justement par mine de plomb spathique jaune est effectivement un phosphate de plomb, caractérisé aujourd’hui sous le nom de mimétite.

On sent par contre de réelles difficultés d’identification dans certaines de ses observations ; il cite par exemple un Nickel arsenifère qu’il associe à de la Chaux de Niccole avec Chaux de Kobalt et Mine d’Argent Merde d’Oye. Cette observation approximative autant qu’étonnante fini pourtant, par voie chimique et grâce à la cristallographie, à trouver sa véritable définition sous l’autorité des chercheurs et auteurs de nouvelles classifications, Werner pour l’Allemagne, Haüy pour la France et Severguine et Sokolov pour la Russie.

Guidé par ses convictions de pédagogues, ce savant du temps des Lumières nous a laissé un héritage d’une qualité remarquable, le plus important dans tout l’est de la France. Sa collection fut de son vivant une référence sur le Rhin et constitua une base d’études avec en parallèle une bibliothèque bien complète conservée au sein des bibliothèques universitaires de Strasbourg.

17 février 2014