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Atelier d’écriture au Musée : Ecrire à la manière de Roger Caillios

Atelier d’écriture au Musée de minéralogie : Ecrire à la manière de Roger CAILLIOS, L’écriture des pierres, éd. Skira, Genève, 1970, 131 p.

Les billes colorées

Elles s’appellent agates
Ou feldspath
Elles roulent, tournent
Et claquent
Elles se valent ou elles s’écrasent
Elles viennent des entrailles
De la Terre
Je les nomme terres de ciel
Parfois je les perds
Les plus légères s’enfuient
Les plus lourdes s’arrêtent
Magnétiques, cristallines ou
Porcelaines
Je les aime
Elles ont la forme et les couleurs
De ma planète
Et parfois elles me reviennent

Laura D.

Opale opaline

Opale opaline
Cristal cristalline
Pierre service
Pierre rêve d’où viens-tu ?
Des montagnes titanesques
A la pierre fine
Force des pierres
Forte et fascinante
Obscure et dure

Sulfureuses halogénures

Stéphanite cherche Minium avec la pire argyrite qui soit
A l’ombre d’une skutt érudite
Deux pieds nickelites n’ont plus l’énargite d’aller
A la Kenngite : « Le cul m’en jette ! » dit l’un d’un ton
Cuprite plein de Tantalite plutôt oxydée.
Emma Tite cherche son sac en Crocoïte Turquoise.
« Je prendrais bien une petite Limonite bien fraîche, pour changer mon Apatite ! »
Dit-elle sans Barytine…
…/…

Macroscopique noce cristalline

En ce début d’Autunite aux éclats chatoyants, les Berthiérite se sont liés, l’anneau à l’Adulaire, et cette chère Liebigite était leur témoin. Le bouquet de Rhodochrosites de la mariée, arrangé en druse, fut jeté comme il se doit dans la foute des invités, réunie dans une clairière ombragée.

C’est la dynamite Amazonite, en pleine forme, qui réussit à l’attraper.

Le cortège des non-élus se trouve des excuses. Muscovite soigne son rhume avec du Spodumène et Apatite se traîne, l’Orbicule globulaire est dilaté. Dolomite « souffre », jaune-vert, mais il n’y a pas d’Epidote. Orthose porte un corset, et Pisolithe, rien, mais il grandit de travers. Et bien sûr Lautite ne parle à personne et se cache sous la table, tout concrétionné. Toutefois, Hématite n’a pas d’anémie et n’est pas trop Opale.

Anacime n’a pu venir : il est parti faire de l’escalade en Calcédoine. Craignant les dangereuses Serpentines aux longues langues lamellaires qui grouillent là-bas, il a même emmené pour se défendre sa Wolframite et sa Labradorite, qui du coup ne pourchassent personne aujourd’hui.

Dans la zone dédiée à la musique, Barytine et Baryte chante en duo, à coup de Trémolites mais toujours en Harmotome.
Galène a apporté sa propre radio pour écouter la voix si claire d’Hertzite qu’il chérit de tout son cœur.
Sur la platine passe le dernier des « Greenockite », disque d’Or cette année. Leur spécialité est de provoquer des Stibines stridentes avec leurs micros, et ils ont supplanté les « Smithsonite » qui, pourtant, eux, hurlaient à toute Blende.
Plus loin Andalousite claque des castagnettes au son d’un Gypse qui sonne, et, au lieu-dit « Chaba-site » un groupe de Zinnwaldites danse autour d’un feu, ce qui fascine l’étrange Pyrophyllite aux yeux vitreux.
Inconscient de cet engouement, le gros Wurtzite, assis juste à côté, s’empiffre de charcuterie.

Le poète Aragonite écrit sur la nappe la suite de son Psilomélane, dont l’action se déroule dans un arbre. Pour les rôles principaux, il verrait bien Brucite comme maître d’arts martiaux, et la si belle Wulfénite qu’elle pourrait poser pour un peintre. Il songe à commander de superbe décors à Graphite, qui, mine de rien, est devenu un dessinateur de renom, et d’originales et grandioses sculptures dendritiques au bûcheron Cylindrite, capable de prouesse quand armé de sa Strontianite circulaire.

A l’autre bout de la table, les frères Corindon : Saphir et Rubis exhibent un petit bidon, car grand amateurs de Limonite pétillante. Dans la même veine, se tenant par l’épaule et, comme d’habitude, grenat et Stibine ont trop bu, tandis que leurs compagnes, Topaze et Améthyste, en profite pour faire leurs précieuses.

Ne connaissant pas les conventions, le nouveau Bismuth polarise une certaine attention, et manque souvent de Talc au goût des ferraillant de la dialectique. Heulandite, lui, n’ose pas trop prendre la parole car il a l’accent de la Sarthe, et à l’inverse, Bornite occupe beaucoup de place en restant bruyamment sur ses positions. Sinon, Fluorite surligne soigneusement chacun de ses mots, à tel point que Sidérite, au beau regard adamantin, en reste sans voix.
D’allure filiforme et un peu à l’écart, la prof de Maths Maude El Surockle, mime à qui le souhaite les surfaces des vitesses d’onde d’un minéral cristal biaxe, sa dernière marotte.
Dans un coin, l’avare Agathe compte ses billes.

Tout près, Corail, Calcite et deux étrangers, dénommés Trèfle et Pique, jouent au Quartz, une partie scandée par un minuteur, et, hors du temps, Proustite n’en finit plus d’écrire.

Dans l’espace entre les buffets, sûr de lui et de son nom à particule, Pierre d’Alun, qui ne sent jamais mauvais, circule en compagnie de Rutile, resplendissante. Indifférente à leur manège, Diorite reste de Glace : de toute façon, elle snobe tout le monde !

A l’opposé de la piste de danse, Diamant, de nature solitaire, n’en revient pas de la facilité avec laquelle Friedelite se fait des amis, malgré son scorodite nécrosant en pleine face. Pour sa part, et depuis peu, son vieux copain Orthoclase porte des lunettes censées corriger sa Stibiconite convergente, mais a toutefois encore maclé son habit de fête.

Restent, pas du tout impressionnés par l’allure sévère de son optique à deux cercles, les jeunes Phrénite, Manganite, Ankérite et Pentlandite tournent autour du vieux Goniomètre.
Les petits Cinabre, Cuivre, Fer, Lapis et Lazulite, assis en cercle, mangent des Chalcocites en écoutant béats, les fabuleuses histoires d’Electron de l’ancien diffracteur.

Quant au dernier né des Argents, il porte déjà longue chevelure, ce qui le rend vraiment charmant. Mais quelle allure digne d’une gravure : un vrai bébé Carborundum !

Tout ce beau monde des cristaux

En ces noces macroscopiques
S’ébat, déambule et se toise
A savoir qui s’ra le plus beau
Discute et rit, puis se branche :
Chacun veut défendre son os !
Et Pierre de Lune se pique
De voguer loin dans le cosmos
A l’image d’une tranche
D’un somptueux mica Phlogopite
Sous les étoiles genre Pyrite
Collées sur le ciel d’Ardoise

Aann-Clair

Le nain des mines

Forgé dans la tourmaline
Incrusté d’olivine
Il poursuivait les flèches des sites
Des dolomites
Mais fut atteint d’une proustite Goethite pour avoir
Dégusté une madeleine
En Galène

Le nain des mines
Avec ses dents de fluorine
Et son estomac de stibine
Prit une épidote
Pour antidote
Il put poursuivre sa route de Halite
En compagnie d’une d’une sylvite

Le nain des mines
Chaussée de platine
Et coiffé de célestite
Se rendit dans les dendrites
Des Dolomites
Et y chaparda une pépite
De pyrite
Ce pourquoi il finit empoisonné
De bismuth infecté
Dans l’antichambre
De l’Ambre

Sophie et Sylvie

Je suis minéral

Globuleux, anguleux ou piquant
Rugueux, mat ou brillant
Je suis minéral
Vert, jaune, rouge ou blanc
Or, rubis, saphir ou argent
Je suis minéral
Exploité, transporté et lavé
Découpé, admiré et exposé
Je suis minéral
Et toi qui me regarde avec
Tant d’attention, qui es-tu ?
Opale de feu, calcite laiteuse
Soufre dangereux
Je suis l’homme
Et je te veux !

…/…

Pierre de Lune

Elle s’appelle pierre de Lune
De la Lune, elle emporte quelques nuances brunes
Parfois ses reflets nacrés vous éclairent
Elle porte les traces de vagues écritures
Le vent, la pluie l’ont signé de quelques ouvertures
L’amazonite sa voisine raconte des histoires
De plaines et de montagnes
Elle décline le vert turquoise, l’ocre et le brun foncé
…/…

Feux et lumière

Rouge cinabre, la crête au-dessus de la tête
Jaune soufre le feu qui sort de sa gueule
Noir charbon les griffes et les pattes
Ambre calcite les ailes déployées
Vert cuprite le cou la poitrine
Bleu corindon le ventre gigantesque
Violet quartz les yeux aux rayons x
Le dragon issu des entrailles de la Terre
Qui diffracte la lumière par sa structure cristalline
Puis explose en mille pierres précieuses
Et charbon devient diamant
Rien n’est trop beau pour toi
Anima me

…/…

Minéral

L’hiver, des jardins blancs
Fleurissent des rangées de cristaux
Et de petites étoiles d’eau
Dans des mystères étincelants

Des stalactites de mercure
Ornent des laves chimiques
Au-dessus des plaines de sulfure
Des volcans hystériques

La Pythie se noie dans l’hydromel
Et s’effondre sur la pierre
Elle n’est pas éternelle
Elle dort quelque part dans la terre

Sur la mer au regard de cinabre
Les trirèmes chargées d’or
Redoutent que des sabres
Les pilleurs jettent sur elles la mort

L’essence d’ambre et de miel
S’échappe du cœur opalin
Des Amazonites en arc-en-ciel
Montées sur des chevaux cristallins

De l’avenue anthracite
Bourdonnent les voitures
On a des acides de marcasite
La grenaille et les ordures

Je vois l’œil de tigre me regarder
Il me dit avec ses yeux roux
« De ma salive siliceuse il faut se garder »
Quand on a faim surtout

Denis L.

Mikroskopische Praeparate

Le 7 septembre 1783, l’Aragonite ahurie regarde le bleu du ciel s’enfoncer dans la roche à l’Altenberg dans le Haut-Rhin.
Depuis, Sainte Marie-aux-Mines se pavane sur un air d’infante avec, à son cou de lait, un merveilleux pendentif azurite.

De remarquables émeraudes artificielles sont maintenant fabriquées par dissolution et cristallisation dans un fondant – la recette de ce fondant a été trouvée dans un vieux grimoire, lu à la page 23, entre la description détaillée de quelques fragments d’Habachtal au Tyrol et la formule stupéfiante orthorhombique ! Le nom de ce remarquable ouvrage mérite d’être cité ici, afin de le sauver de l’oubli profond : il s’agit du Mikroskopische Praeparate… la suite est illisible. Petit cartel retrouvé sous des débris de verre de la vitrine n° C du musée de minéralogie de Minneapolis.

Pascal S.

2 décembre 2015